Le 8 avril 2020
Confinée à mon domicile, comme le sont tant de Français aujourd’hui, résignée au télétravail qui reste mon seul lien professionnel, je reçois ce courriel d’une inconnue qui m’appelle à l’aide. Elle m’explique qu’elle est elle aussi confinée et qu’elle ne se sent pas en sécurité avec son mari. Aussitôt, je pense à une femme victime de violences, mais la réalité s’avère tout autre. Elle m’explique qu’elle veut divorcer, qu’elle elle est victime, d’après elle, d’une « escroquerie aux sentiments » de la part de son mari, ajoutant « Je ne supporte plus qu’il me touche, les liens conjugaux sont complètement altérés ». Voulant divorcer lui aussi, l’époux dit vouloir partir, mais un bien commode confinement lui fournit le prétexte pour s’éterniser au domicile conjugal.
Mon premier « dossier confinement », dans un temps qui semble hors du temps et hors du droit. Un message reçu par une avocate qui ne peut pas aller à son cabinet, envoyé par une personne qui ne peut y venir en consultation. Mon premier mais probablement pas mon dernier, si je prends l’exemple de Wuhan, la ville chinoise d’où est parti le Covid-19 et qui, sitôt le début de l’allègement des mesures de confinement, a connu un pic de divorces.
Que peut vouloir encore dire le droit en ce temps sans précédent dans l’histoire, où l’humanité est menacée par un virus hyper contagieux et la moitié du monde se trouve désormais confinée à la maison ? Pour la plupart des Français, le droit n’a guère plus de forme que celle des attestations qu’ils doivent remplir avant de sortir de chez eux.
Pourtant, le droit est toujours là, il garde tout son sens et s’exprime de bien d’autres manières encore.
La première de ces formes est bien sûr la continuité de l’État. Il ne faut pas s’y tromper, encore moins s’arrêter aux apparences. Plus rien n’est normal en France au quotidien, mais le droit existe et il est bien présent. Malgré le Covid-19 et l’obligation impérieuse du confinement, le respect de la loi continue de s’imposer dans tous les autres domaines également. En même temps que les mesures-barrière parmi lesquelles la fameuse « distanciation sociale », il faut une « distanciation conjugale » pour protéger les femmes qui, comme mon interlocutrice, se sentent aujourd’hui en danger auprès de leur conjoint. Il faut éviter à ces femmes de souffrir d’une « escroquerie aux sentiments » et de violences conjugales.
Car parfois, oui, le droit peut être absent, les victimes en devenant celles qui souffrent déjà de tant d’injustices dans la société en temps normal – les femmes, à commencer par les victimes de violences cherchant à fuir. Lorsque sortir devient un délit, comment faire et où aller ?
Les femmes victimes de violences conjugales subissent une double peine. Elles se retrouvent enfermées avec leur agresseur, et si elles sortent sans une attestation qu’il ne les laissera jamais rédiger, pas même sur leur téléphone portable, elles sont verbalisées, voire pire en cas de récidive pourtant rendue inévitable par le calvaire qu’elles endurent.
Les procédures habituelles sont suspendues, mais la loi réprimant les violences contre les femmes n’a aucune raison de ne plus s’appliquer. Confinement ou pas, c’est un principe fondamental de notre droit : aucune femme ne doit subir de violences de la part de son conjoint, sous quelque prétexte que ce soit.
Les pouvoirs publics ont annoncé des mesures, comme la réquisition de vingt mille nuitées d’hôtel pour arrêter la cohabitation entre victime et agresseur et une dotation d’un million d’euros pour les associations. La crise actuelle n’oublie donc en aucun cas les femmes victimes de violences.
Même si les plaintes et mains courantes habituelles ne sont plus possibles, pour appeler au secours et signaler les violences, il existe trois moyens :
– le 39 19, numéro gouvernemental dédié, qui a été brièvement interrompu après le début du confinement mais, aujourd’hui, fonctionne à nouveau,
– un site Internet, arrêtonslesviolences.gouv.fr, où l’on peut faire un signalement et demander de l’aide auprès de policiers et de gendarmes qui lancent des enquêtes et interventions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et
– un simple SMS au 114, ce qui est une innovation du confinement.
Ou encore, selon une méthode qui a fait ses preuves en Espagne, quand une femme victime de violences arrive à sortir de son domicile pour aller à la pharmacie, il lui suffit de dire à la personne au guichet « Masque 19 », ce qui est le code pour signaler des violences conjugales. Des consignes de vigilance ont été données aux pharmaciens.
Enfin, dans de nombreux centres commerciaux, il existe des points d’accueil dédiés aux femmes victimes de violences. Les courses de première nécessité sont l’une des dérogations admises au confinement, elles font partie des cases à cocher sur l’attestation de sortie. Une femme victime peut donc se rendre auprès de l’un de ces points lorsqu’elle parvient à sortir de chez elle pour aller faire ces courses de première nécessité.
Toute femme soumise à des violences conjugales doit savoir qu’elle n’est pas seule, que le confinement n’a pas pour but de la livrer à son bourreau, et que, bien plus encore que le coronavirus, la violence conjugale tue.
Samia MAKTOUF
08 avril 2020