Le 26 mars 2021
Nawal El Sadawi : la Simone de Beauvoir du monde arabe s’est éteinte.
« Je continuerai à écrire. J’écrirais même si on m’enterrait. J’écrirais sur les murs, si on me confisquait crayons et papiers. J’écrirais par terre, sur le soleil et sur la lune. L’impossible ne fait pas partie de ma vie. »
Cette citation est de Nawal El Sadawi, écrivaine et psychiatre égyptienne née le 17 octobre 1931 près du Caire. L’infatigable guerrière a mené des combats toute sa vie contre toutes formes d’oppressions que vivent les femmes arabes ; l’excision qu’elle a subie elle-même, le voile, la polygamie, l’inégalité dans l’héritage.
Elle s’est éteinte ce 21 mars, à l’âge de 89 ans. Elle laisse les femmes orphelines d’une voix qui comptait dans leur lutte, une voix qui ne va pas disparaître, cependant avec sa disparition au regard de l’héritage qu’elle nous a légué. C’est à nous les femmes, qui luttons pour nos droits d’honorer sa mémoire en lisant ses œuvres et en véhiculant ses idées et opinions.
Mais, qui était cette Simone de Beauvoir du monde arabe ? Il est très difficile de contenir Nawal El Sadawi dans quelques lignes tant sa vie est riche en écriture, en lutte, révolte, événements douloureux comme la prison, les procès et condamnation à mort par les islamistes radicaux. Son franc-parler et ses positions audacieuses sur des sujets jugés tabous par une société égyptienne largement conservatrice lui ont valu des ennuis avec les autorités et les institutions religieuses.
Ce sont cinquante ans d’écriture, depuis son premier livre publié en 1969 « Al imra’a wal jins » traduit en 2017 en français sous le titre « La femme et le sexe ou les souffrances d’une malheureuse opprimée« . Un livre courageux, et nécessaire, sorti dans les années 60, qui remet en question les préceptes dits religieux qui oppressent les femmes et font d’elles un objet sexuel pour la consommation uniquement.
Elle expose ses expériences comme médecin dans les années 50 et 60 face à l’excision qu’elle a subie elle-même et des sévices liés à cette honteuse pratique. Une femme excisée n’a plus de plaisir sexuel, de désir ni aucun orgasme, l’acte sexuel ne la concerne plus que comme objet de jouissance de l’époux. Puis, contre le système patriarcal et ses désastreuses retombées sur les femmes. Dans La femme et le sexe, l’un des plus importants dans le monde arabe, Nawal El Sadawi raconte ses nombreuses altercations avec des parents concernant les oppressions et l’ignorance dans lesquelles ils maintiennent leurs filles, des filles qui ne savent rien de leurs corps, note-t-elle. Avec ce premier livre vont commencer ses déboires face à la société, l’islamisme, le pouvoir en place qui vont durer jusqu’à son décès.
En 1972, elle va être congédiée de son poste de directrice générale de l’éducation à la santé publique, au ministère de la Santé, et le magazine « Health » qu’elle dirigeait comme éditrice responsable va être interdit à la publication, et ses prochains livres vont être censurés.
Entre 1973 et 1980, elle va exercer plusieurs fonctions comme chercheuse à la faculté de Médecine à l’université Ain Shams (Caire), elle travaille notamment pour les Nations Unies en tant que directrice du Centre africain de recherche et de formation pour les femmes en Éthiopie, et elle est conseillère pour la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique occidentale au Liban. L’influence des salafistes sur le monde arabe est immense et étend ses tentacules jusque dans les pays occidentaux. Nawal El Sadawi , devenue indésirable, est chassée partout où elle va. Lors d’une conférence à Montréal dans les années 80, des islamistes perturbent sa conférence, en envahissant la salle où se tenait sa rencontre avec le public.
À son retour en Égypte en 1981, elle va s’opposer à la loi du parti unique sous Anouar al-Sadate ce qui va la conduire en prison, accusée de crime contre l’État. Arrêtée à son domicile, elle va être emprisonnée à la prison des femmes de Kanater. Elle y reste jusqu’à l’assassinat de Sadate. Elle profitera de son séjour pour écrire les Mémoires de prison des femmes — l’histoire raconte qu’elle rédigea ce livre sur un rouleau de papier toilette, avec un crayon à sourcils introduit par une prisonnière.
Quelques années plus tard, elle publie, en 1987, « La chute de l’imam » . Elle commence alors, à recevoir des menaces de la part de groupes fondamentalistes. Ainsi dans les années son nom, apparu sur une liste de personnalités à abattre, dressée par des milieux extrémistes islamistes, l’avait poussée à s’installer aux États-Unis de 1993 à 1996, où elle enseigne alors à l’université de Dukes.
En 2001, le procureur général engage des poursuites contre elle pour apostasie à la demande d’un avocat conservateur Nabih El Wahsh qui réclamait la dissolution de son mariage avec Shérif Hetata, son époux depuis trente-sept ans. Mais, les poursuites furent abandonnées avant sa comparution en juin 2001.
C’est à cette époque-là que j’ai rencontré Nawal El Sadawi, alors qu’elle faisait une tournée des rédactions de certains journaux, cherchant des appuis à sa cause. Ce jour-là, elle portait un ensemble bleu presque délavé, pantalon et veste, un bout de femme maigre, à la chevelure argentée qui formait comme une auréole sur sa tête. Une femme douce, taquine avec un sourire permanent sur les lèvres et qui ne laisse personne indifférent. J’étais intimidée par ce bout de femme et honteuse de ne pas l’avoir lue faute d’avoir trouvé ses livres en Français, je me suis lancée tout de même pour me rattraper dans la lecture de Femme au degré zéro, en langue arabe paru en 1975, un roman basé sur les témoignages de femmes rencontrées à l’université Ain Shams sur la santé mentale des femmes. Et, le principal personnage de ce roman est une jeune femme prénommée Ferdaous (paradis) condamnée à mort pour le meurtre de son souteneur. Le roman traduit en français par Assia Djebar et Assia Trabelsi sous le titre de « Ferdaous une voix d’enfer » a été publié aux éditions des Femmes. Un roman puissant qui réveille en nous de la révolte devant le martyre de cette jeune femme abusée dès son jeune âge, mariée à un vieillard, soumise aux pires sévices, qui choisit la rue et la prostitution, mais ne trouve son chemin vers la liberté qu’en tuant, et qui ne regrette pas sa mort.
Les autres œuvres de Nawal El Sadawi, « La face cachée d’Eve » (1977), « Le voile » (1978), « Dieu démissionne de la rencontre au sommet » (1996), « Isis » (2008) ou encore « C’est le sang » (2014), ne la concernent pas précisément, à part quelques biographies et essais où elle évoque souvent ses expériences comme dans « Rahalati hawla aalem » (mes voyages à travers le monde) ou « Awraki hayati » (Les feuilles de ma vie). Elles concernent toutes les femmes impuissantes, soumises, opprimées dont elle prend la défense.
Tout en continuant à écrire et produire, elle va subir les attaques et les poursuites. Cette fois-ci, c’est l’institution religieuse d’Al-Azhar qui va la condamner en 2007 pour atteinte à l’islam. Depuis, censurée, bannie de la plupart des foires du livre arabes, rarement invitée par les services culturels de régimes radicaux, elle ne baissera jamais les bras. Et mourra en digne descendante de sa compatriote Hoda Chaaraoui, la première féministe qui, en 1923, dans la rade d’Alexandrie, jeta son foulard à la mer, en un geste symbolique qui resta dans les annales du combat des femmes.
Nassira Belloula