Le 7 juillet 2022
D’un « Parlement » à l’autre, la commande dans l’écriture, par Sylvie Le Clech (juillet 2022)
En ce début d’été où les festivals reprennent de la vigueur, j’ai eu envie de partager très simplement quelques idées comparatives entre la commande photographique et celle de l’écriture, autour du mot « Parlement ».
L’occasion m’en est donnée par le « Parlement de la photographie », instance de débat des photographes professionnels accueillie cette année au Palais de Tokyo. Les photographes, dont le métier est en crise depuis des années, répondent présents à la commande photographique qui, loin d’être synonyme de formatage, permet de jouer avec les contraintes et de libérer une créativité individuelle qui rencontre la société de notre temps dans ce qu’elle peut aussi avoir de terrible. L’actualité en est la pourvoyeuse, à travers les événements dramatiques connus par l’Ukraine.
Nous autres écrivaines, sommes aussi réunies en « Parlement » depuis 2018, et avons écrit séparément ou en ligne, collectivement, sur les sujets qui touchent la situation des femmes aujourd’hui comme hier.
Tout comme les photographes qui pratiquent une esthétique et une écriture visuelle, nous pouvons retourner vers nos visions intérieures, celles de notre chambre noire, la « camera » et nous poser la question de l’importance dans nos vies littéraires de la commande, et si elle constitue, comme pour les photographes, un « déclencheur d’esthétiques » (Guy Tortosa).
Cette question a été abordée très récemment, en 2020, par Eléonore Devevey, à propos des « affres » et la « phobie » éprouvées par le surréaliste André Breton et l’anthropologue Michel Leiris. Dans son article en ligne (https://doi.org/10.4000/contextes.9701), A l’épreuve de la commande, Genèse de L’Art magique d’André Breton et d’Afrique noire : la création plastique de Michel Leiris. L’autrice interroge les « injonctions contradictoires » communes à ces deux monstres sacrés, « entre adaptation aux exigences du commanditaire et souveraineté du commandité, entre désir d’autonomie et besoin de renfort externe, entre conformisme et subversion », dans le contexte intellectuel de leur époque, l’après-guerre.
Nous nous croyons plus souvent portées à être nos propres commanditaires, puisant dans l’imaginaire ou le désir d’écrire l’histoire, une force qui n’aurait pas besoin de commande extérieure à nous-même. C’est peut-être car nous aussi, comme Breton et Leiris sommes en prise avec nos conflits intérieurs.
Nombreuses pourtant sont les écrivaines, qui, pour bâtir un récit de fiction, partent d’abord d’un univers familier qu’elles « photographient » de manière intérieure, presque documentaire, pour le transformer en esthétique à partager.
Nombreuses sont les historiennes pour qui le réel d’aujourd’hui invite à l’humilité pour comprendre le réel d’hier.
Nombreuses sommes-nous à produire durant nos sessions de Parlement à Orléans, une œuvre collective au cours des lectures, tables-rondes et textes sur le site, qui interrogent la société à ces moments précis de « Parlement », comme le font les photographes actuellement.
Ces formes de commandes culturelles permettent aussi au Parlement de faire Parlement et d’intégrer les nouvelles venues dans des moments de rencontres avec les publics. Que fait enfin la commande dans ce processus de création littéraire qui passe pour le plus solitaire qui soit ? Si nous raisonnons comme des juristes, aucune commande, relation contractuelle de l’autrice avec son commanditaire, ne bride la liberté de création de l’autrice.
Pour les photographes, souvenons-nous des commandes de la régie Renault qui ont fourni à Robert Doisneau ses mythiques clichés ou plus récemment les commandes de la DATAR qui ont permis à Raymond Depardon de nous livrer un portrait sensible d’une France rurale en mutation, aux antipodes des « clichés » sur les ouvriers et les paysans. La liberté de création est même une garantie renouvelée avec force de loi en 2016. Seules les modalités de la « commande » peuvent affaiblir le surgissement créateur de ces récits à peine nés.
A méditer grâce au lien qui m’inspira cette divagation estivale spontanée : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Parlement-de-la-photographie-le-monde-de-la-photographie-sur-tous-les-fronts
Soyons, comme les photographes du Parlement de la photographie, « sur tous les fronts ».
Sylvie Le Clech, juillet 2022