Le 31 mars 2020
Un confinement des deux côtés du Rhin
Journal du confinement I
Mercredi, 18 mars 2020
11h Un whats up matinal et une belle idée d’une amie française alerte et alertée dans les rangs du gouvernement – et voilà que je me lance : Il est temps d’écrire mon journal, mon journal de bord du confinement. Un journal intime fouillant dans l’intimité internationale, car je ne suis pas la seule à me trouver cloitrer à la maison.
La différence : je suis une spectatrice en-dehors de l’hexagone, je me retrouve en séjour forcé sur la rive droite du Rhin. Je ne peux plus rentrer dans mon habitat en France où mes fils se trouvent « confinés ». Sont-ils malheureux ? Nenni – pour l’instant, ce sont des aventuriers et ceci est une grande aventure insoupçonnée.
Un minuscule virus, a semé une pan-panique, une angoisse mondiale qui renvoie les nations sur eux-mêmes tout en cherchant la solidarité. Ils cherchent à ériger une barricade internationale à cet hôte non aimé qui se niche partout.
L’hôte nomade, l’hôte inconnu, l’hôte mal venu, mal accueilli et mal aimé est un minuscule virus avec des piques comme un hérisson, si je comprends bien cette petite boule hirsute dessinée par les médecins. Covid-19 est un ovni extraterrestre. L’intrus est mâle. Oui. C’est un virus, un ! Je répète un, un, un. Il est masculin, s’il vous plaît. Mais son nom résonne aussi comme si c’était une femme : « Corona ».
Corona avec une terminaison en « -a », racine latine. Corona comme Cornelia ou Cordelia, des belles italiennes. Corona comme couronnement. Je trébuche, mon latin est parqué dans un coin lointain de mon cerveau. Couronnement de quoi ? Je ne peux m’empêcher de penser que Corona est le couronnement du positif dans l’abolition du négatif. Ce négatif qu’est notre course frénétique vers le toujours plus : plus d’argent, plus de consommation, plus de luxe, plus de vitesse et d’instantané dans la vie.
Et maintenant depuis hier un arrêt sec. L’appel formel de rester à la maison. De s’enfermer dans son petit chez soi qui s’avère très spacieux, chez les uns, et chez d’autres plutôt un trou à rat. Un arrêt de confinement décrété par le gouvernement français, sous peine d’amende pour celui qui met son nez dehors pour sniffer l’air. Pour prendre la température, si vous voulez, et regarder l’air du temps et rencontrer ainsi Madame Corona, cette vilaine, qui se balade partout. Ce sera une rencontre à son insu.
La France dans son cloisonnement ne fait que suivre la Chine, l’Italie et l’Espagne. L’amende est cependant son amende choisie pour son territoire : 135 euros pour un nez qui se balade. Aie, la perte d’argent, ça fait mal. On ne change pas l’appât du gain du jour au lendemain. On ne change pas une société non plus. Les Français râlent. Comme d’hab. Ils râlent, si l’État ne fait rien, si l’omni-Président ne commande pas dans la seconde un avion pour rapatrier les touristes français qui se baladaient – malgré le virus. « Macron, un avion » scandent les naufragés de la Marianne au Maroc et se croient drôles et dans leur plein droit. Qui va payer ? Bien sûr les autres – les co-citoyens. Les Français râlent quand le gouvernement les aide sans qu’ils le lui demandent : Eux, rester à la maison, quoi ? Pour un simple virus ? Mais qu’est-ce qui lui prend… Monsieur le Président c’est une atteinte à ma liberté ! Je paye mes impôts donc j’ai le droit de me promener. Y inclus les gilets jaunes qui pensaient bien faire en se rassemblant juste quelques jours avant. Le danger est toujours pour les autres.
Bon, Monsieur le Président pense bien faire et protège alors un peu plus la nation en prenant des mesures plus sévères. Il décrète l’amende pour quiconque bouge dehors – sans motif permis par l’administration. Ça alors ! Les Français râlent encore – tandis que l’Allemagne ferme tranquillement ses frontières avec la France et ainsi à ces baladeurs indisciplinés et inconscients, volatiles et râleurs par nature.
Un peuple est ce qu’il est, forgé par des siècles – malgré les migrations qui ont apporté leur lot de bons changements.
L’Allemagne ferme – comme la France – des écoles, des crèches, des lieux publics, mais permets aux restaurants de rester encore ouvert jusqu’à 18h. Aussi suis-je moins confinée que mes amis français. Je me balade et avec moi des millions d’autres Allemands – mis au chômage partiel ou invités à travailler chez eux. Le fameux « home office », le travail à domicile dont on parlait depuis des années mais qui tardait, tardait et retardait à venir est enfin arrivé chez nous, en Europe, dans des milliers d’entreprises et des millions de foyers. Madame Corona fait du bien.
Elle fait doublement du bien, car elle renverse le gourou du gain partout. Il doit se faire plus petit, maintenant. Ce gain devient nain ou disparaît même. Le toujours plus est devenu une alerte du toujours moins. Un choc total. Un choc pour l’économie et l’industrie. Un choc pour les patrons et les patronnés. Madame Corona a mis l’argent du côté et vide les tirelires.
Ah, sacré Madame Corona. Elle fait triplement du bien. Elle n’a pas besoin de longs contrats pour réduire notre CO2. Enfin, moins d’émissions nocives. Nous pourrions respirer mieux dehors, si Monsieur le Président nous le permettait. Mais pour l’instant il nous protège – de tout.
La crise rassemble. Madame Corona nous montre nos proches sous d’autres yeux. Elle est bien l’intrus au sein de notre foyer. Elle re-mélange les cartes du jeu des sept familles.
Ah, j’ai failli oublier, le 18 mars, date où je commence le journal intime, est une date historique pour les Allemands. Ce fût un 18 mars, en 1990, que les premières élections libres pour la « Volkskammer » (« la chambre du peuple », traduction littérale) ont eu lieu en RDA, juste quelques mois avant que le régime soit complètement dissous et le pays de la RDA (ré-)unifiée avec la RFA. Et c’est un 18 mars, en 1848, à Berlin que les soulèvements de barricades pour la liberté de la presse et la création d’un parlement ont marqué l’histoire allemande. Tous les deux évènements étaient des pas vers la démocratie. Pour l’histoire française le 18 mars est dorénavant le souvenir et le symbole d’un confinement qu’ils ressentent, pour la plupart, comme atteinte à leur liberté et comme une prison. (à suivre….).
Journal du confinement II
Jeudi, 19 mars 2020 : L’Amour au temps du Corona
Il paraît que le livre le plus vendu en ce moment est « La Peste » de Camus. Je ne comprends pas ce choix. C’est le moment de s’égayer et non de se faire peur. C’est le moment de reprendre des sagas, de relire des romans anglais, louvé dans son fauteuil, et même de savourer des romans d’amours.
Amour, ai-je dis « amour » ? Il faut que je réfléchisse à l’amour au temps du corona. Les jeunes couples sont allongés dans les prés comme avant, comme si rien n’était. L’amour est fort, il se sent invulnérable, armé contre tout. L’amour est égoïste et se croit impénétrable à tout intrus. L’amour est une cellule à part. L’amour mène une vie à côté.
Faut-il interdire l’amour à cause du virus ? Faire chambre à part, si l’on peut, et coucher dans des lits séparés ? Je m’imagine la déclaration présidentielle dans le journal télévisé à 20 h: » A partir d’aujourd’hui, l’amour est interdite. Tout acte de tendresse à moins d’un mètre cinquante sera poursuivie en justice. » Est-ce que l’interdiction de l’amour soulèvera encore des masses dans notre société peu habituée à l’affectivité? Serait-ce un tollé d’amoureux dans les rues ? Une révolution aimante ? Combien de manifestants scanderaient leur amour pour l’amour, pavé à la main ?
Certains hommes plaisantent – suite au confinement, il y a aura un nouveau baby-boom. C’est sans compter avec les femmes. Je pense que le nombre de divorces va exploser.
D’ailleurs, Madame Corona serait sexiste. Elle préférerait les hommes aux femmes, nous affirment les premières statistiques. Encore une fois, les hommes raflent le plus dans notre société. Cette fois-ci, on leur donnerait la plus grande part du gâteau sans rancune.
Madame Corona serait aussi anti-démocratique. Elle préfère les personnes âgées aux jeunes. C’est vilain. Bon, d’accord, soyons honnête : nous avons déjà parqué les vieux dans des maisons de retraite. Nous les avons confinés à la maison bien avant. Il fallait que Madame Corona les libère un peu – pour les mettre dans des lits d’hôpitaux. Le décor change – le confinement reste et l’isolement aussi. Avec des gants et un masque d’hygiène, des appareils et des médicaments en plus. Et une autre mort que prévue depuis bien longtemps. On n’a guère le temps de faire son testament, ni le droit de rassembler sa famille pour mieux écarter ceux qu’on n’aimait pas de toute façon. Les temps sont durs.
9h23 Confinée, je me fais ma première tasse de café. Un rituel au ralenti. Je le savoure lentement. Madame Corona nous donne du temps avant qu’elle ne nous le vole pour toujours. Avant qu’elle ne prenne notre vie. Profitons-en donc. C’est une déclaration que je fais à mon mari. Moi, je lui parle en face. Mais lui, il a la tête dans un cloud.
13h50 Après les courses au supermarché presque vide, mais loin d’être vidé, je découvre le mail de mon amie. La cloche, m’explique-t-elle, sonnait sur l’initiative de l’archevêché de Cologne. L’archevêque a donné l’ordre que tous les soirs, à 19h30 pétanque, toutes les cloches du diocèse devraient sonner. Ceci jusqu’à nouvel ordre, jusqu’ la fin du coronavirus. Mon Dieu, nos temps ressemblent quelque peu au moyen-âge, à une époque où l’église, impuissante face à des épidémies, se faisait entendre ainsi. Ce tintamarre des cloches en Rhénanie remplace, me semble-t-il, les cultes interdits. Il rassemble en pensées et en prières les croyants. Il envoi de la spiritualité à travers monts et vallées le long du Rhin. Trois minutes pour signaler que Dieu est parmi nous. Les trente étaient dû à une fausse manœuvre.
Je doute sincèrement que ces trois minutes changeront l’homme, sa foi et le cours du siècle.
Vendredi, 20 mars 2020 : Un nouveau futur se dessine
Pour la France, c’est le jour 4 du confinement. L’Allemagne va bientôt fermer ses frontières entre ses Länder. Mais comment va-t-elle gérer les milliers possibilités de passage ? Une voisine me raconte – en respectant au centimètre près le périmètre sanitaire prescrit – que les mariages seraient annulés si le nombre des invités dépasserait douze. Pourquoi douze ? Serait-ce encore une référence religieuse, ancrée dans le subconscient de notre société christianisée ? Je pense aux douze apôtres. Une fonctionnaire d’une mairie à Berlin aurait proposé à deux amoureux de les marier dans la seconde. Ils voulaient fixer une date pour la fin de l’année. « On ne sait pas ce qui va se passer dans les prochains mois », aurait rétorquer la fonctionnaire et de proposer : « Je vous marie tout de suite, si vous voulez. » Ils voulaient. Voilà, le virus permet des exceptions impensables autrefois. Berlin devient un Las Vegas pour les mariages.
Quelles nouvelles va m’apporter cette journée ? Certainement pas de nouvelles par le journal, car la livraison s’est arrêtée. Est-il malade notre coursier ? J’espère que non.
Les revenus ne tombent plus, ou tombent à l’eau, par l’annulation de tous les évènements, fêtes, dîners, réunions, qui sont essentiels pour entretenir la grande maison. En temps de crise vaux mieux habiter petit. Même si un confinement à six sur 40m2 doit être l’enfer. Trop d’énergie étouffée dans un endroit. de l’énergie négative en générale, car les hommes ne savent plus transformer une situation désagréable en happening. L’homme a perdu son esprit explorateur, sa veine de Robinson Crusoe. Bon d’accord, tout le monde n’a jamais été Robinson, ni scout.
8h40 Je vais prendre ma première tasse de café. A la même heure comme hier. Aïe, je suis conditionnée comme un chien – au sens du médecin et physiologiste Ivan Pavlov. Mais ne sommes-nous pas tous des conditionnés dans nos besognes de tous les jours ? Il était temps de se réveiller. Demain je vais changer.
12h45 Je file au tabac local pour poster un recommandé. A partir de lundi 23 mars, au plus tard, l’Allemagne suivra la France et fermera tous les magasins sauf les supermarchés. Les changements dans la vie de tous les jours sont déjà bien palpables. Un silence certain règne dans les rues. Peu de gens, moins de voitures. C’est presque glauque en plein soleil.
13h J’aime. I like. Chaque nouvelle situation engendre de nouveaux mots. Pas forcément les plus jolis. Un néologisme que je lis dans les journal économique « Handelsblatt » est la « glokalisierung », la « glocalisation« . Ce serait le contraire de la globalisation, mais pas vraiment une « deglobalisation« . La nouvelle « glocalisation » serait la synthèse entre le mondial et le local; entre le digital pour le travail et l’autarcie locale pour la nourriture. Les deux seraient comme pile et face d’une même médaille, inséparables comme le yin et le yang. L’analyste de ce mouvement est un certain Daniel Dettling, futurologue à l’Institut de la recherche du futur à Berlin. Si « l’hyperglobalisation » était frénétique et nocive, la nouvelle « glocalisation » serait « achtsam » (attentif) et durable dans ses démarches. L’économie et la société seraient, selon ce chercheur, plus résilients et robustes. Aurons-nous donc un bel avenir ? En tout cas, le futurologue nous affirme un bon pronostic de survie.
Samedi, 21 mars 2020 : Des beaux gestes existent, il suffit de regarder
Je m’ennuis. Tiens, tiens ! Rassurez-vous, cela n’a rien de nouveau. C’est souvent les samedis que je m’ennuis. Le virus n’y change rien. Le confinement non plus.
Par contre, l’affolement suit dans la seconde via internet. L’existence d’un ami s’écroule. DJ pour gagner sa vie et bouquiniste par passion, il ne gagne plus un rond. Toutes les soirées et fêtes ont été annulées. Il m’écrit qu’il doit mettre la clé sous la porte. A moins que … A moins qu’il y ait des gens qui le sauvent, des gens avec du cœur. Croyez-moi, ils existent. Ils se révèlent en temps de crise comme ce propriétaire de logements de travailleurs qui propose à ses locataires de diviser les loyers par deux pendant quelques mois. Un geste ! Et puis, quelques heures plus tard au supermarché. Une cinquantaine d’hyacinthes sont alignées derrière la caisse telle une mer de bleu et un ciel de rose. « Prenez-en une ou deux comme souvenirs. Nous allons fermer bientôt. » nous invite la caissière, un large sourire dans le coin de ses yeux fatigués. Je rentre sur un nuage. Un parfum d’espoir se propage dans l’air.
La vie est belle. Plus belle, par moments, qu’avant le virus. Je suis certaine que nous trouverons des milliers de beaux gestes de ce genre en ces temps-ci. Soyons le premier à le faire. Au chaud dans ma cellule, je propose à mon bouquiniste de lui prêter des sous. (À suivre)
Journal du confinement III
Dimanche, 22 mars 2020 : C’est tous les jours dimanche … vraiment ?
Une phrase court les rues telle une chanson gagnante de l’Eurovision. « C’est tous les jours dimanche. » Vraiment ? En tout cas, nos dimanches sont différents, ils ne se ressemblent pas, le mien est différent du vôtre.
Et tous nos dimanches ont bien changé avec le virus. Ce cadre supérieur qui envoie aux jeunes employés récit sur récit, même le week-end, non-stop, leur disant « comme ç’est tous les jours dimanche ». Aux yeux de ce vieux loup du business, ces jeunes cloîtrés à la maison peuvent bosser. Bosser pour lui, il se réserve l’exclusivité de leur confinement. On se croirait à l’école. Bosser le dimanche, c’est ce qu’ il a dû faire en temps normal, avant le virus l. Bosser, c’est ce qu’ il fait toujours. Un fou du travail. En temps de crise, il se révèle mauvais chef et mauvais pédagogue. Certainement pas un homme à épouser. Les jeunes, privés du dimanche dans cette semaine de tous les dimanches, ne peuvent plus se ressourcer. Ceux qui croient que confinement va forcément de pair avec une meilleure hygiène de vie, se trompent.
Cette famille, habituée aux déjeuners de famille le dimanche avec son lot de joie et de disputes, a connu aussi un chamboulement. Elle se retrouve désemparée, car privée de ses éternelles habitudes. La route de la routine dominicale est barrée. On ne peut même plus faire demi-tour. Des anciennes hiérarchies tombent, de nouvelles s’installent – avec un rituel changé. Je doute que cette famille va retrouver un jour son rythme familial d’avant. Quoi que…L’homme est animal qui oublie vitre, très vite, quand il veut oublier.
Mon dimanche aussi n’est plus comme avant. Il est envahi de mauvaises nouvelles, percé comme un emmental, vidé de sens. Ce n’est même pas la peine de chercher à boucher les trous. Moi, qui avait comme coutume de couper le portable le dimanche, je le laisse maintenant allumé. Une mauvaise nouvelle habitude, car elle n’apporte rien de bon. Ce dimanche soir, je lis les résumés de la semaine, regarde la topographie mondiale du virus, cherche à comprendre où il se porte bien, mieux, ou enfin plus mal. Je suis la trajectoire du pourquoi et comment. Mon dimanche a pris une tournure non-endimanchée, maussade.
Pourtant, voilà un constat bizarre et positif : le cloisonnement m’ouvre tous les jours un peu plus sur le monde. Je voyage virtuellement. Je suis à la maison et e suis partout.
Lundi, 23 mars 2020 : Le confinement allemand reste bien sage et le printemps passe à côté
Notre cloisonnement en Allemagne est depuis hier fin d’après-midi, officiel, mais nettement moins dur qu’en France. Les ministres des Länder (exceptés celui de la Bavière qui avait fait cavalier seul et fût vivement critiqué) ont décidé avec la chancelière Merkel, que nous pouvons toujours sortir. Voir même nous rassembler – à deux. Être en tête à-tête avec quelqu’un, en gardant une distance de 1m 50, jamais au grand jamais, je n’aurais pensé qu’une telle constellation serait considérée comme un « rassemblement ».
Et comme j’adore me promener à deux, rencontrer les gens les uns après les autres, un par un, me voilà, championne du rassemblement. Je l’avais toujours été à mon insu.
A part ça, le travail doit continuer, l’économie doit tourner même à gouttes d’eau. L’endettement allemand atteindra les 156 milliards d’euros, un record. Les Allemands qui n’aiment pas s’endetter – ni en public ni en privée -, qui préfèrent montrer l’exemple et être bon élève, cette fois-ci ils se dépassent ! Ils foncent. Espérons que cet argent promis est bien dans les caisses. Mais où était-il avant ?
Les coiffeurs doivent maintenant fermer, eux aussi, comme les restaurants, les cinémas, les piscines, les salles de fitness, et j’en oublie.
Je regarde par la fenêtre et vois dans la cour les magnolias en fleur. Il y a trois jours, le 20 mars, c’était le début officiel du printemps. Je l’ai raté comme des millions de gens en Europe. D’habitude, les journaux accueillent le printemps avec fanfares et photos. Ils lui consacrent une demi-page et nous dopent de conseils pour jardiner. Cette année rien. Les seuls conseils se portent sur la protection contre le virus. Tous les calendriers auxquels nous étions habitués sont bousculés. Le temps est un autre temps. Faut-il vraiment perdre la boussole à ce point ? Ignorer tout de ce qui nous reste de beau et de bien vivable tant que nous sommes en vie ? Bettina de Cosnac
Journal du confinement IV
Mardi, 24 mars 2020 : La crainte d’un tsunami économique et politique
J’ai du retard. Oui, je suis en retard pour le rendez-vous avec moi-même et pour écrire mon journal. Cela peut arriver même en étant cloîtrée à la maison. Trop de choses à faire, tout sauf rester en place.
Aussi ai-je zappé la nouvelle d’hier : Angela Merkel a dû subir un test covid. Vu son âge, elle fait partie des personnes à risques. Incroyable, mais vrai, c’est un médecin – son médecin traitant – qui a failli la contaminer. Il se promenait avec la maladie à son insu. Pendant quelques heures une nation plongeait dans une autre angoisse, une angoisse de plus : que faire si Angela …. Si la mère de la nation…. Si, Angie…. Si, si, si elle devait nous quitter en ces jours-ci ? Je pense l’impensable, je l’écris même, car j’aime penser jusqu’au bout. Si le « si » arrivait, ce serait une catastrophe. La totale. Un tsunami politique en Allemagne. Avec des répercussions en Europe et bien au-delà. Cette femme joue un rôle d’apaisement dans la politique mondiale. Elle est un phare. Elle montre que la route du bon port est possible. Au lieu d’hurler, de fanfaronner, de pavaner comme ces hommes politiques aux cheveux teints en blondinets et mal cravatés, elle agit placidement. Ses armes de négociation sont le recul d’une scientifique et la bienveillance d’une humaniste. Fille de pasteur, elle croit comme mère Thérèse en l’humain, mais ne se fait aucune illusion.
Quelques heures plus tard, ma pensée tsunamiste se révèle vaine. La « Mutti », comme les Français aiment l’appeler, est déclarée « négative » au virus. Madame Corona préfère toujours les hommes. D’ailleurs, elle aime de plus en plus le pouvoir ! Ainsi s’est-elle installée au trône de Monaco en infectant le Prince Albert II. Elle est dans le gouvernement du Portugal où le Premier Ministre la prenait en grippe. L’âge avancé de nos dirigeants me saute soudainement aux yeux. Ce que je ne sais pas encore, c’est que demain, le Prince Charles, 71 ans, sera également en noces avec Madame Corona. Qu’en sera-t-il de la reine ? Par précaution on l’a écarté de Londres, infectée depuis peu, l’isolant à la campagne. Les dossiers la suivent, un personnel réduit au minimum aussi. Sa survie est un garant de stabilité pour un pays où la femme au suprême pouvoir est reine. Un changement ces temps-ci serait fatal.
Le soir, mon petit bout de terre devant la porte est bercé par une nuit étoilée devancée par un beau coucher de soleil. Ils transgressent la loi du confinement. La terre suit son propre cours. Comme toujours.
Mercredi, 25 mars 2020 : Parlons un peu des vieux
Mon home-office continue. Écrivaine, 80% de mon travail se passait déjà avant le virus à la maison. Le home-office est donc une invention de l’écrivain. Avec ma casquette de journaliste, je me penche aujourd’hui sur le marché des demeures historique. Les vieilles maisons sont des nids à part. Elles sont comme les vieilles personnes, chères à entretenir en cas de maladie et demandant un soin spécial. Comme elles, les vieux murs ont une guirlande d’histoires à raconter. Comme elles, elles préfèrent se taire. Abandonnées, elles s’effondrent petit à petit. Leur histoire s’efface en silence. Nous leur superposons la nôtre et celle de nos enfants. Et puis, les petits-enfants amènent leurs propres valises de larmes et de secrets.
Autre constat : notre correspondance change. Moins effréné, imprégné de confinement et de la peur, les e-mails finissent avec une pensée bienveillante pour l’inconnue. Des nouvelles formules de politesse ont vu le jour. Elles remplacent les anciennes. Un « portez-vous bien », « Bleiben Sie gesund » ou un « take care » ponctue aimablement la fin. A adopter sans limites.
Jeudi, 26 mars 2020 : La vie semble être une question de stratégie
« Wir schaffen das ! » Cette phrase forte, trempée dans la plume de l’optimisme, est devenu le leitmotiv de la gestion de crise à l’allemande du Corona.
Il ressemble à l’énergie prometteuse du fameux « Yes, we can » de Barack Obama, ancien président américain. A une nuance près : nous sommes déjà en train de nous mobiliser à fonds, non pour un idéal, mais pour prendre un obstacle à l’assaut. Le « Wir schaffen das ! » d’Angela Merkel se veut rassurant en temps de crise mondiale. Ce qu’elle dit aux Allemands est bien valable pour les femmes et hommes de la terre entière : Nous réussirons ! Nous ! Le virus dévore nous tous aux quatre coins du monde. Il met nos modes de vie à plat et nos appétits en diète sévère. Nous ! devrions travailler ensembles. C’est le pari le plus dur à gagner.
La vie, tout simplement. La vie est donc devenue le centre du monde. On la surveille, l’assiste, la soigne attentivement comme un bébé qui nait. Oui, la vie avec Covid-19 à nos côtés (sans le chopper) se révèle soudainement bien plus précieuse qu’avant. Nous regardons la vie humaine avec d’autres yeux. Pour survivre, nous adoptons une stratégie bien plus consciemment qu’avant. Et ceux qui ne respectent toujours pas le confinement bafouent du pied leur vie – et la vie des autres. Bafouer sa propre vie – peu importe si on paye ses impôts -, on est libre de le faire. Bafouer la vie des autres, signifie tout simplement être égoïste à mort. Les ignorants non toujours pas compris, que la vie, en ce moment, est une question de stratégie. Et de discipline militaire, si l’on veut, en pensant à la déclaration de guerre du président français Macron, déclaration faite à l’ennemi virus. Je doute cependant que nos stratégies entreront comme cas d’étude au célèbre cycle des « war studies » du King’s College en Angleterre. Quoi que ! Les stratégies d’une guerre médicale sont développées depuis longtemps dans les romans de science-fiction. Et nous voilà en pleine fiction. Ce que nous croyions être du ressort des écrivains.
Vendredi, 27 mars 2020 : Un courage des circonstances
Face à Corona – il faut un courage de circonstances. Les décisions doivent être prises rapidement. C’est maintenant que se montre la capacité d’un gouvernement de trouver l’unanimité dans ses divergences, de mettre l’intérêt du pays avant l’intérêt du parti. Ce n’est pas simple. Le Parlement allemand réussit plutôt bien. Il vote des aides gigantesques en un après-midi. Un rapprochement politique au plus près en gardant la distance médicale requise. Chaque deuxième siège du Bundestag reste vide. 1m 50 reste 1m 50. C ‘est drôle si ce n’était pas si sérieux.
En France, le gouvernement se trouve soudainement en face de gens qui portent plainte contre lui. Tout prétexte est bon. Le gouvernement aurait dû faire ceci, il aurait dû faire cela, il était évident que… Ceux qui portent plainte n’ont-ils jamais pris une mauvaise décision dans leur vie ? Ne se sont-ils jamais trompés ? Je pense à la célèbre phrase de Jésus : « Que celui qui n’a jamais pêché lance la première pierre… » Je mets en parallèle une nouvelle phrase, phrase biblique : « Que celui qui ne s’est jamais trompé, soit le premier à porter plainte … » Il ne restera personne.
Aux États-Unis, le paquebot économique coule. Face à ce naufrage, les Américains élus, démocrates et républicains confondus, jettent leur méfiance d’interventions de l’état par-dessus bord. Ils accordent des millions de dollars aux entreprises pour éviter un chômage sans précédent. Le Titanic US a heurté l’iceberg corona, un virus qui nous fait tous froid au dos.
Il faut du courage de circonstance. Et faire preuve, tous les jours, d’un peu plus d’abnégation. Même certains grands patrons ont écorné volontairement leurs salaires, en Allemagne et en Italie, pour être solidaire. Chose rare.
Nous gagnons donc moins. Mais en même temps, nous gagnons plus. Tous les jours, je découvre un nouveau musée ou un ancien film, sorti de l’oubli dans mes balades virtuelles. Tous les jours, je reçois des messages de découvertes et d’une nouvelle solidarité possible.
La société créative est en route. Elle organise notre société différemment. Elle fonce. Il faut que je saute sur le train à temps. J’ai du mal, tant il va vite.
Et surtout prudence ! Un clic sur internet reste un clic avec des conséquences.
Samedi, 28 mars 2020 : La bassesse de l’homme est à la hauteur du virus
Au théâtre du monde, je suis abonnée aux scènes de vie pas drôles. C’est un programme de tous les jours. Un programme gratuit au contenu lamentable.
Scène une, en France
Lieu : un supermarché de l’ile de Ré, île fréquentée par des gens huppés et soit- disant de l’intelligentsia. Acteurs : des personnes comme vous et moi – plus précisément d’origine parisienne. Action : Poussées par l’avidité et l’angoisse, les personnages piquent dans les caddies des uns et des autres. Ils se battent pour un paquet de pâte et en font un pâté. La police doit intervenir.
Scène deux, en Allemagne
Lieu : Un supermarché dans un village près de Cologne. Acteurs : des personnes comme vous et moi – plus précisément originaires d’une ville moyenne. Action : Un acteur de sexe féminin veut acheter trop de papier de toilettes, marchandise convoitée et donc limitée depuis peu. La caissière la prend en flagrant délit. Elle l’empêche. Furieuse, la cliente s’assoit sur le … Elle fait grève. La police doit intervenir.
Dimanche, 29 mars 2020 : Réflexions et maximes
– Dans un corps confiné, l’esprit reste libre.
– Le tête-à-tête du confinement est comme la retraite pour un couple. Un test auquel il était mal préparé.
– Tout exercice mental est forcément un exercice physique. Regardez comme les pensées tournent en rond.
– Nous avons de belles perspectives des deux côtés du Rhin. La preuve : en français, le monde marche sur la tête. Donc le monde « marche » encore. Die Welt steht Kopf en allemand. Ouf, le monde « reste debout », même étant sur sa tête. Seuls les Anglais nous montrent le revers de la médaille : Upside down. Le monde n’existe plus, tout simplement. The world is a mess.
– Le temps nous est compté depuis toujours. Mais le compte n’est plus bon. Les cloches des Églises sonnent à des heures impossibles, appelant, sur ordre des archevêques à des prières extraordinaires. Le comble, avec le passage à l’heure d’été, on nous vole une heure aujourd’hui. Par temps de virus, chaque minute compte.
Lundi 30 mars 2020
Consternation : il y aurait eu le premier suicide politique dû à la pandémie. Le ministre des finances dans la Hesse a mis fin à ses jours, ne pouvant plus (spécule-t-on) faire face aux gouffres financiers qui s’ouvrent partout. La presse internationale, dont la France, reprend vite cette nouvelle. Elle relate cette mort comme » une horreur corona de plus ». Restons prudent. Peut-être cette mort aurait-elle pu être évitée tout simplement si nous nous soutenions plus au lieu de nous torpiller. Il est évident que la pression sur nos dirigeants est immense et qu’il faut avoir la peau plus dure que dix pachydermes pour survivre un seul jour.
31 mars 2020