Le 23 décembre 2019
Barbaricum (Nés d’avant le monde)
– Ysiaka Anam –
Nous sommes nés d’avant le monde,
D’avant les secousses et les cris
D’avant la joie féroce
Et ses incessants soubresauts.
Nous sommes nés d’avant les frontières,
D’avant les guerres et leurs abysses
Bien avant le jour insidieux
Réfugiés dans l’inépuisable nuit.
Nous sommes nés d’avant la mémoire,
D’avant la parole et ses effractions
D’avant les liens et leurs éclats
Avant que la solitude puisse se dire.
Nous sommes nés dans l’errance,
Errance sans lieu ni odeur
Nés sans terre aucune
Etrangers à nos propres empreintes.
Nous sommes éternels exilés,
Bringuebalant dans cette histoire
Sans lieu, sans temps
Sans auteur pour nous réclamer.
Puis le monde est arrivé.
Déplacés,
Nous.
Dérangés,
Nous.
Projetés dans ces foules réclamant du sens, entier, pour arrimer leur vie.
Nous sommes nés d’avant le monde,
Cet instant précis, juste avant
L’instant où tout était possible encore
Avant d’être percutés par le réel.
Nous sommes nés d’avant la mort,
Avant qu’elle soulève les épidermes
D’avant les larmes et l’oubli
Et les vers qui emportent tout.
Nous sommes ceux dont la terre a enfanté,
Lorsqu’elle cherchait des confidents
Pour bercer, pour consoler
Son implacable esseulement.
Nous sommes nés de ce sol désemparé,
En quête d’un autre pour sentir
Un poids, tout petit, tout infime
Peser tout contre sa peau.
Nous sommes nés dans l’arrière-monde,
Répandant au gré du vent
Semences stériles, chaos fertiles
Et quémandant la poésie.
On était cette masse à la couleur méconnaissable, couleur suie, couleur cendre.
On est devenus parias, se déversant dans vos rues, une fois le monde engendré.
On nous a vomis.
Puis on nous a redemandés. Encore.
Séparés, démunis.
Dépourvus, incomplets.
Privés d’appendice à porter contre nos ventres.
En quête
D’une terre pour lover nos songes.
En quête
D’autres corps pour nous porter.
En quête
De témoins pour nous faire exister.
En quête
De mélodies pour irriguer nos vies.
En quête
D’eaux neuves pour nous saouler d’allégresse.
En quête
D’une langue qui puisse accueillir nos silences.
On était cette masse informe.
Solidement ferrés aux précipices qui bordaient le monde.
On se balançait agglutinés, sans voix propre, sans encombre.
Eaux, vents, et terres, se mêlaient.
On s’y mêlait aussi.
Viscéralement vissés à la matière, à la vie, au monde d’avant le monde.
On était complets. Moches, mais complets.
À l’aurore du monde, de langue il n’y avait pas.
Juste les murmures de la mer berçant le sable.
Les vagues susurraient des mots tendres et incompréhensibles à des oreilles absentes.
La mer écrivait ses propres pages sur le lit de ce pays amnésique.
La mer écrivant, effaçant et redonnant au monde, à chaque instant, la possibilité de se recréer.
Puis le monde est arrivé.
Oubliée,
La mer.
Délavé,
Le sable.
Amputés,
Nos corps.
Perforée,
Notre histoire.
Nous sommes nés d’avant le monde,
D’avant les secousses et les cris
D’avant la joie féroce
Et ses incessants soubresauts.
Nous sommes nés d’avant la mémoire,
D’avant la parole et ses effractions
D’avant les liens et leurs éclats
Avant que la solitude puisse se dire.
Nous sommes nés d’avant la mort,
Avant qu’elle soulève les épidermes
D’avant les larmes et l’oubli
Et les vers qui emportent tout.
Nous sommes les éternels exilés,
Bringuebalant dans cette histoire
Sans lieu, sans temps
Sans auteur pour nous réclamer.