Le 11 mai 2020
Le bon régime du confinement
Elle avait le look vintage d’une soixante-huitarde avec un vernis chanelisé. Elle flottait entre deux mondes sans être capable de trancher. Le confinement, elle n’y croyait pas trop. Mais dès la première amende que le policier du coin lui avait infligé lors de sa promenade pieds nus en pleine journée, elle avait compris. 135 euros, ça faisait mal quand-même. Ne sachant plus, que faire de tout son temps libre, lui, illimité, mais elle confinée, elle essayait la révolte par la nourriture. L’objet de désir le plus basic de l’être. Bien que débutante en la matière, Bethsabée commença une grève de la faim. Triste échec ! Vu le confinement, personne ne se rendait compte de son acte héroïque. Il finit donc comme il avait commencé – en toute clandestinité. Vaillante, Behtsabée essayait alors son contraire, la boulimie. Grâce aux factures élevées et au nombre de paquets déposés, cet acte, au moins, attirait l’attention voulue. Les supermarchés l’inondaient de pub et les livreurs de mots de lassitude. Au bout de dix jours et cinq kilos de plus, Bethsabée avait compris – un bon confinement devait se vivre autrement. Elle trouva encore un autre régime au régime du confinement. Au menu, elle inscrit sa nouvelle formule du jour : un livre, un plat. Contente, Bethsabée ouvrait le bal avec Cézanne et un déjeuner aux pommes rouges. Puis elle dinait à la table de Colette. Elle essaya la madeleine de Proust, mais la fit cramer dès le premier tour au four, en se mettant A la recherche du temps perdu. Elle se retranchait dans la cuisine du Berry avec Georges Sand et ses tendres histoires. Notamment celle de sa vie amoureuse avec le jeune Chopin. Pendant quelques jours, elle faisait même ses courses avec Zola Au bonheur des dames.
Ah, qu’il devenait bon, le temps du confinement ! Chaque jour un plat délicieux assaisonné du sel de culture. Une assiette colorée de pages de littérature. Bref, de Très Riches Heures en bonne compagnie.
Au fil du temps, son menu au quotidien gagnait en piment et en exotisme. Elle voyagea en Guadeloupe avec Maryse Condé et en Martinique avec Suzanne Dracius. Au Maroc avec Leïla Slimani et dans l’Indochine passée avec Marguerite Duras. Son Amant était attablé sagement à sa modeste cuisine au sixième étage.
Sur tous ces plats et livres, Bethsabée, oubliait la triste réalité. D’ailleurs, son copain, confiné à l’autre bout de la ville, ne lui faisait plus signe. Elle ne le remarqua guère. Il était déjà tombé dans l’oubli. Bethsabée avait, enfin, trouver la bonne formule pour un régime strict et imposé. Elle ne se souciait plus. Sa cuisine du confinement lui avait rendu sa liberté. Tendrement elle l’appelait son « cocu », comme elle aimait les contraires. Elle n’avait qu’une crainte que le confinement officiel s’arrête et que le métro, boulot, dodo ne reprennent le dessus.
Allemagne, le 05 mai 2020
Petites philosophies du confinement
Le confinement est une invention d’écrivain*e. Les plus belles pages de la littérature sont nées d’un confinement. Marcel Proust, Thomas Mann, Béatrix Potter et bien d’autres souffraient de l’asthme, d’une pneumonie, d’une paralysie éphémère. Écrivaine, je sais de quoi je parle. Mes livres naissent dans le confinement. Parole d’auteure : Dans un corps confiné, l’esprit reste libre.
Le confinement est une invention chrétienne, spirituelle. « Si tu veux connaître le monde, retourne dans ta cellule. » C’est en ces termes qu’Anselm Grün, bénédictin allemand, nous invite à mettre à profit ce tête-à-tête forcé avec nous-mêmes. Confine-toi, connais-toi et réfléchis sur ce que tu pourrais apporter de bon pour changer le monde. Une réflexion constructive.
Le confinement est une mesure politique prise pour combattre un virus. Il est global, mais relatif dans son application. Qui a raison ? C’est le grand débat. Le futur tranchera, en regardant le passé.
Pour l’instant, à défaut de savoir, vivons tout simplement.
Allemagne, le 06 mai 2020
Le Conte cruel du vilain petit virus
Il était une fois, un vilain, vilain petit virus. Il avait l’air d’un minuscule ballon hirsute montrant des piques tel un hérisson. Il avait la taille d’une puce et une faim de loup. Pour se nourrir, il s’agrippait aux gens de passage, guettant sa proie dans la foule. Sans pitié, le virus lui sauta dessus, le prit par la gorge, l’étranglait. La pauvre victime n’avait guère le temps de crier au secours. Déjà elle commençait à suffoquer. Ainsi, le petit vilain virus faisait rage sur la terre entière.
– » Il faut l’attraper », s’écriaient-les hommes affolés.
Ah les malins ! Avez-vous déjà essayé d’attraper une puce ?
– « Il faut le confiner ! » tonnèrent d’autres, élevant bien fort leurs voix.
Mais comment confiner une puce qu’on n’attrape pas ?
– « Il faut confiner les hommes », proclamaient finalement les plus rigoureux des hommes dont les politiques. Ainsi fût-il !
Pendant des jours, des semaines, voire des mois entiers, les hommes étaient confinés dans leurs maisons. Ils n’avaient plus le droit de bouger, sauf pour acheter un peu de pain et de quoi vivre. Encore fallait-il que les administrateurs des pays leur accordent un permis de sortie. Ecoutez-bien les enfants : tous les jours, il fallait demander permission.
Les hommes coincés à la maison sans amis et juste avec leur belle famille, pas toujours si belle d’ailleurs, n’en pouvaient plus au bout de quelques jours. Une partie des hommes confinés devenait folle. Une autre, et pas la moindre, mourait du virus, même à l’hôpital. Comme les lits d’hôpital étaient comptés, les hommes se livraient une véritable bataille. Comprenez, mes enfants, on se battait – pour aller au lit !
Un beau jour, les hommes qui étaient en bonne santé, mais confinés, se révoltèrent. Les plus révoltés parmi les révoltés, essayaient de s’échapper par la force. Ils prenaient leur voiture et fonçaient en dehors des villes. Mais les gendarmes étaient plus malins qu’eux. Ils les attrapaient au bout de la route, les renvoyaient à leur maison en leur demandant une jolie rançon.
Passé le printemps, l’été pointait son nez. Et avec lui le déconfinement, car le virus craignait chaleur et soleil. Petit à petit, les hommes, qui avaient bien du mal à se tenir, re-apprirent à se promener, à travailler et à être plus ou moins heureux comme avant. Mais …
– « Restons prudents ! » conseillait le sage des sages. « Le virus peut revenir une deuxième fois. » Et comme un sage est un sage, tout le monde l’écoutait et cherchait une solution.
Les hommes organisaient donc un bal masqué. Des masques, ils en portaient de toutes les couleurs. Certes, ils ne s’amusaient plus comme des fous au carnaval, et ils se battaient encore pour en avoir le premier. Mais ils pouvaient sortir, respirer le bon air et garder, masqués jusqu’au nez, la bonne distance sociale – la même comme avant ou pire.
Encore longtemps, longtemps après le déconfinement, les hommes prièrent du fonds de leur cœur que le vilain petit virus, ce tueur en série, cet ennemi en commun, ne reviendrait plus.
Et maintenant au lit, les enfants ! Dormez bien, soyez sages et mangez des vitamines pour que le virus ne vous attrape pas.
Allemagne, en souvenir du 11 mai 2020, jour du déconfinement officiel en France