Chronique du confinement – Koutchoukalo Tchassim : Les exilés du Co-vid-19

Les exilés du Co-vid-19 11 septembre 2011, une date inique qui malheureusement me colle la…

Le 5 mai 2020

Les exilés du Co-vid-19

11 septembre 2011, une date inique qui malheureusement me colle la vie et me rappelle, à chaque fois que cela s’avère nécessaire, ma venue dans un monde d’horreur indescriptible, œuvre cynique et sordide de la technologie vile, de l’intelligence humaine. J’en voulais à ma mère d’avoir involontairement choisi ce jour pour me faire vomir dans cet univers qui ne rassure plus. Ni la technologie ni la nature. Plus rien ne rassure. La technologie devient dangereuse pour la survie de l’espèce humaine ; la nature, elle-même, rebelle contre l’homme : le tsunami, les ouragans, la sécheresse, etc. Vivre est-elle devenue une catastrophe comme le déclare Jean Ormesson ? La chair de monstruosités insaisisantes et insaisissables nous assaillent dans une impuissance stérile. On se croirait dans la grande Garabagne d’Henri Michaux.

        Mes parents noirs, d’origine africaine, s’étaient exilés deux ans auparavant au pays de l’oncle Sam où ils comptaient faire fortune et améliorer leurs conditions de vie au moyen de l’odeur des billets verts. Malencontreusement, la chance ne leur avait pas souri. L’instinct de survie leur imposa un quartier où sévissaient misère et puanteurs. La tragédie du 11 septembre avait ébranlé le monde entier saisi de torpeur parce que, de loin et à travers les images, il avait suivi la descente aux enfers des deux tours jumelles percutées par les oiseaux volants des guerriers saints selon leur croyance. Des cœurs avaient saignés pour des victimes innocentes au nom d’une guerre sainte sans sainteté. Des torrents d’eau lacrymale coulèrent. Autant de questions que des âmes animées du souffle de vie avaient fait pousser dans leur esprit : jusqu’où ira la technologie ? Le monde entier disparaîtra-t-il un jour sur une clique d’un bouton technologique ? Un vide était creusé sur la place des deux tours écroulées, un vide dans la vie des proches des victimes, un vide évasif dans la psyché des enfants de ces Etats unis pas comme à l’africaine, un vide national et personnel paré d’une émotion internationale.

Et aujourd’hui, le vide n’est plus personnel ni national ; il n’est plus propre aux pays de l’oncle Sam ; il est devenu international, copartagé par tous les pays du monde entier, un legs hérité de l’an 2020, un cadeau de fin de l’an 2019 ; un co-vid-19 parti du pays du Dragon qu’on aurait cru au départ une propriété privée. Or, dit Pierre-Joseph Proudhon « la propriété, c’est du vol ». Le pays du Dragon n’a pas voulu en faire une propriété ni paraître voleur. Une partie du legs fut, tristement, passé à l’empire Nippon, à l’empire du Reich, à la Maison du Coq, à la Maison Mère de l’Eglise, à la Maison Mère de Jésus, à la Maison de l’oncle Sam, et puis il traversa tout et s’en prit à ma Maison sur laquelle des oiseaux de mauvais augures prophétisèrent une tragédie. L’esprit de mort, le COVID-19 gonfla fortement ses poumons et souffla partout. Plus qu’un tsunami, son passage fut Violent. Violent était le vent du romancier ivoirien Charles Nokan. Mais le vent des revendications anticoloniales ne se compare en rien à celui du COVID-19. Des morts ! Rien que morts ! Partout ! La panique s’est installée. Aucun remède, aucun vaccin, aucun antidote. Des hommes en blouses blanches et vertes sont excédés ; d’autres parmi eux n’ont pas résisté au vent surchauffé du COVID-19. Les ras de laboratoires-tests cherchent, ils fouillent, creusent, bêchent, ils ne laissent nulle part où la main, les yeux, les idées ne passent et repassent. Le trésor contre COVID-19 n’est pas encore trouvé. Pendant ce temps, le mystique laboureur COID-19 laboure dangereusement et impunément la planète ; il fait tomber des centaines voire des milliers d’âmes par jour.

Personne ne l’attendait ni ne l’avait vu venir, ce tueur silencieux. Au départ tout le monde mangeait buvait, se mariait et donnait ses filles en mariage et voyageait d’un coin à l’autre bout du monde. Personne n’avait imaginé la force de frappe de ce minuscule virus qui ôte le sommeil surtout aux grosses têtes du monde. On avait cru à une escapade passagère d’un invisible et méchant sorcier qui se contenterait des hommes aux petits yeux. C’est dans les plaisirs des airs, de la vie aux contacts multiples et multiformes que notre meurtrier s’est infiltré pour faciliter son expansion. La plupart de nos mamys exilées dans des maisons de retraite dans les pays du Nord prirent un coup fatal. Certaines survivantes plaident pour assassinat prémédité d’un corps vieux, une euthanasie en quelque sorte.

Dans ma Maison d’adoption, les spasmes stomacaux me secouent chaque jour que le Seigneur fait. Les exilés économiquement mal en point que représente ma race noire étaient sinistrement les victimes recherchées ; les conditions d’insalubrité et de misère dans lesquelles ils végètent, la foi en leurs compléments alimentaires qui ont envahi ma Maison dépotoir les ont davantage fragilisés. Chaque jour, je pleurais les morts de ma race décimés à 70%. La présence de mes parents à mes côtés me console, car des enfants avaient vu leurs deux parents s’exiler dans la mort ou des hommes avaient vu leur femme et leur unique enfant emportés en exil par COVID-19. Je ne souhaitais pas être orphelin à cause de ce faucheur,  ce maudit et sale garçon mal élevé qu’est le COVID-19.

Le COVID-19, il est comparable à cette ancre qui immobilise les bateaux sur les eaux, mais sa lourdeur maléfique ne le rapproche en rien de la lourdeur salvatrice de l’ancre. Il a paralysé le  monde entier, ralenti voire arrêté la vie: confinement partiel, confinement total, fermeture des usines, des magasins, des services, des établissements scolaires, fermeture de tout et tout ; il faut laisser CORONA circuler seul à l’extérieur des maisons pour qu’il meurt le plus tôt possible. L’exil involontaire tue la vie extérieure ; il ne ravive pas celle de l’intérieur non plus devenue monotone et chiante ; il fait des prisonniers placés en détention sans barreau. J’ai vu des hommes et des femmes s’accrocher à leur fenêtre ne serait-ce que pour humer l’air pur de l’extérieur. Des partenaires ne pouvant plus se supporter ont dû s’exiler dans la solitude, l’un étant devenu le COVID-19 de l’autre. Chaque personne, dans son coin, était un exilé potentiel dans la peur, dans la hantise d’inhaler ce fichu virus  et surtout de mourir ; un exilé dans le vide, ne sachant à quand la fin de cette tragédie aux origines douteuses. Des exilés dans le chômage créant l’oisiveté, la sécheresse économique et nutritive, maudissaient à tue-tête ce fils de Lucifer, COVID-19. Heureusement que la solidarité semble le maître mot qui canalise les actions de certaines personnes de bonne foi et les dirigeants qui exercent leurs devoirs de protéger et de nourrir leur peuple.

À l’extérieur, c’est le vide ; un vide que tous les pays ont en partage, même s’il varie suivant la force de frappe de l’invisible ; un CO-VID-19 engendré par le COVID-19. Le monde entier s’est exilé dans une nouvelle approche de la vie : se sécuriser chez soi, s’exiler dans les mesures barrières, seuls moyens de venir à bout du CO-VID-19 et du COVID-19. Des villes mortes d’une mort sèche, désertes d’une désertification brutale, sans préavis ; on se croirait en temps de guerre, une guerre qui ne dit pas son nom. Des espaces publics et religieux à l’abandon n’exhibent leurs coiffures, leurs robes et leur sainteté qu’aux lueurs ternes des jours et aux ténèbres obscures des nuits qui, sans vie ni chaleur, se succèdent dans une monotonie inculte. Des murs sourds et muets, sans compassion, ont ravalé avec indifférence les compagnons de ces sites touristiques, leurs admirateurs, leurs amoureux qui, naguère passaient souvent les réchauffer de leur chaleur, de leurs murmures et de leurs rires plaisants, contents de se faire fouetter par l’air jouissivement vénéneux et pure, de se faire raconter l’histoire de ces espaces vides, de ces murs et de ces statuts centenaires voire millénaires. 

S’agit-il d’une saison d’anomie covidienne ? Une saison d’anomie pas à la soyinkaenne. Cela me parait plus réaliste dans la mesure où COVID-19 sévie sans être inquiété ; il attaque, alite et emporte ou préserve qui il veut, avec une prédilection morbide pour des personnes vulnérables à immunité complètement couchée. Un virus gangster qui se duplique et se transmogrifie en fonction des aires. Cependant, il serait aussi une saison de restauration de la couche ozoneuse avec la mort saisonnière de la pollution, une saison de restauration qui a ramené l’Homme à sa condition d’être impuissant. Malgré son génie créateur à soulever les montages, le petit virus l’a rendu impuissant en paralysant tout et tout. L’Homme qui n’avait pas le temps pour ses enfants, pour son époux ou épouse, qui n’avait de vie que pour les affaires, la gloire du monde, la richesse, la poursuite du vent, etc., est astreint à rester enfermé dans les quatre murs, surfant entre écran de  télévision, d’ordinateur et de téléphone portable. Il s’exile dans les images, dans les informations, dans les messages, bref dans les mots à travers les réseaux sociaux. Un invincible vaincu, exilé dans les mots.

 La saison covidienne est, dans une moindre mesure, une saison de restauration m’ayant séduit par ce confinement imposé et qui permit à mes parents de revivre intensément leur amour, même s’il arrivait que notre mère grinçât les dents. Très fréquemment, ils s’exilaient dans leur grotte où l’exil, à petit feu, transfigurait les corps appelés à une fusion sensuelle, autrement dit à un exil-sensuel. Cet exil-sensuel devint la croix de Jésus à transporter sur le mont Golgotha, une croix pas aussi légère que celle de Jésus, une croix lourde à transporter avec une crucifixion quotidienne douloureuse empreinte de lassitude. Oh Dieu ! Si le CO-VID-19 pouvait disparaître avec l’inhumation du  COVID-19, cela soulagerait certaines vaches qui n’hésitèrent pas à appeler à la mise à terme du confinement, car leurs taureaux gloutons prévalurent excessivement leur droit à fouiller de tout temps leur jupe.  

La saison d’anomie de COVID-19 avait fait des exilés de la diaspora des exilés dans leur pays d’origine. Des frontières fermées, des vols suspendus. Rentré à Logota pour deux semaines de vacances, mon frère aîné Zokitou fut surpris par cette saison de COVID-19. Il était devenu un exilé chez lui, désorienté et étranger à une vie qui n’était plus la sienne, une vie en laquelle il ne se retrouvait plus. « Je veux rentrer chez moi, sinon je perds mon boulot, vous comprenez. Et puis je n’ai rien à faire ici. Ma place n’est plus ici » hurlait-il entre les quatre murs et dans les oreilles des hôtesses de la compagnie qui devait assurer son voyage retour (Il faisait des va-et-vient dans la salle, s’arrachant les cheveux). « Merde ». « Monsieur calmez-vous. Ce n’est pas de notre faute. Nous vous recontacterons dès qu’une petite occasion se présentera ». Il quitta l’agence et rentra à la maison vidé de tout espoir. Il se demandait comment il allait passer le temps dans un pays qui n’était plus le sien, avec une vie pourrie par COVID-19, une vie qui était déjà morte, une vie qui n’était plus vie. Une semaine plus tard, il réussit à trouver une place sur un vol d’une compagnie qui continuait, malgré la suspension des vols, ses activités comme si de rien était ; un canal de propagation de la pandémie saisonnière sur lequel les grosses têtes de chez nous fermaient les yeux parce que l’enjeu économique était de taille. Il fit un retour aussi tardif qui nous soulagea. Toutefois un chômage en lequel il s’exila, non pas pour longtemps, l’accueillit froidement à son retour, les eaux tumultueuses du COVID-19 ayant emporté son pain. Il eut la chance de trouver un petit poste dans une petite et moyenne entreprise qui, autrefois fabricant de chaussures, s’est reconvertie dans la fabrication du matériel de riposte contre le COVID-19 (Bavettes, gants, gel hydro alcoolique, etc.). Son exil dans ce petit boulot permit à toute notre famille de survivre pendant la saison d’anomie du CO-VID-19. Nos parents avaient, quant à eux, perdu leur emploi et vu leur âge un peu avancé, ils préférèrent s’exiler dans le chômage et dans le vide quotidien.

Chaque soir, après le dîner, Zokitou éprouvait du plaisir à nous raconter la saison d’anomie covidienne de là-bas. La plupart de nos frères, nous disait-il,  n’ont pas le minimum pour se confiner ne serait-ce qu’un jour. Ils vivent au jour le jour et à chaque jour suffit sa peine. Ils préfèrent être dans la rue, affronter COVID-19 et assurer leur pitance que de se confiner et mourir du CO-VID-19. Pour eux le confinement ne concerne que les fonctionnaires dont le salaire est garanti par l’Etat. Le chômage et l’exil dans la misère est plus frappant chez les artisans et petits commerçants. Voilà pourquoi une aide de solidarité dénommée « Solidarité » est initiée pour les soulager un tant soit peu, mais je me demande si le but escompté sera atteint. Le port de bavette est un véritable souci que les grosses têtes tentent d’imposer pour limiter la propagation du virus. Tousser dans le creux du coude, cracher dans un mouchoir jetable et se laver régulièrement les mains sont de la mer à boire. À cet effet, il n’est pas rare de voir des motocyclistes ou des piétons cracher au sol sans se soucier du lieu d’atterrissage de leurs crachats, ou se moucher à l’aide de leur main gauche et la nettoyer avec le pan de leur chemise ou celui de leur pagne pour les femmes. Ne pas se serrer les mains, est un pari gagné. Eviter les attroupements ou non dépend des contextes, car ventre affamé n’a point d’oreilles et la course du buffle est téléguidée par la position de ses cornes. Bon nombre de milieux populeux intriguent en cette saison covidienne là-bas: dans la plupart des maisons de location, des bâtiments se font face avec une pléthore de locataires et de personnes partageant une même chambre et une cour commune. La marmaille, elle, toujours dehors ou dans la rue en train de jouer ou de se promener sans bavette, le nez en l’air, sans aucune mesure barrière. Vous comprenez donc le sens des hurlements de premières heures de ces oiseaux de mauvais augures : « L’Afrique doit se préparer au pire ». Mais conclut-il, à brebis tondue, Dieu mesure le vent.  

Koutchoukalo TCHASSIM 

Lomé-Togo, le 02 mai 2020.