Le 24 mars 2020
La maison barricadée devenue bateau amarré qui ne partira plus. Je ne désespère pas, je mets les voiles, mouille mon doigt et vérifie d’où souffle le vent, il y’a comme une odeur bizarre comme des magnolias qui ne veulent pas fleurir. Ah, c’est le jardin encore pétrifié par l’hiver, la neige tarde sur quelques bouts de terrain, et la terre est marécageuse, l’eau n’est pas complètement absorbée. Je scrute l’horizon… de ma fenêtre blindée, on a peur même de l’air qu’on respire. Le quartier Côte-Saint-Luc est devenu soudain un foyer ; oh pas du tout ce foyer chaleureux avec de bonnes bûches dans la cheminée et cette odeur de bois brûlé, non un foyer où prolifère d’étranges créatures microscopiques qui s’agrippent qui nous étouffent qui nous balaient. Pauvre humanité, me dis-je si fragile. Je ferme les yeux, je tente d’oublier les chiffres, les infos, les overdoses des vidéos. Ma maison, mon havre, ma sécurité. Je suis contente de ne pas être en voyage perdu quelques parts. Je regarde le rapatriement des Canadiens coincés au Maroc, leurs visages si tendus. Au Pérou, c’est l’enfer pour les Canadiens qui y sont bloqués. Ils sont enfermés dans leurs hôtels, gardés par les militaires. La vieille dame raconte, elle mange des chips rationnées depuis trois jours. J’éteins la télé… je décroche de Facebook, de twitter, je prends un livre. Je le repose et je reviens à la télé aux informations. La journée s’écoule lentement, trop lentement, je scrute de nouveau la rue. Mon bateau n’a pas dépassé le cap de la haie. Il n’y a pas de vent porteur, il n’y a que les rumeurs du silence. Mais, j’insiste, je regarde, mais je ne vois rien. Il est effrayant ce silence, ce vide, cet obscur incertain. Je regrette mon voisin si bruyant qui m’exaspérait tant avec sa tondeuse et souffleuse été comme hiver. Je regrette le défilé de camions livreurs qui me faisaient rager avec leurs sifflements stridents, en faisant marche arrière pour pénétrer dans l’allée de l’hôpital. Hôpital : Ah ! Quelle triste réalité, ce virus qui revient dans la tête… ah ! oui, c’est vrai j’habite en face d’un petit et mignon hôpital, tranquille avec des grandes baies vitrées, des balcons… Il y a parfois des aînés assis sur la terrasse à discuter gentiment, là il n’y’a rien… le soleil se couche, il s’éclate sur ses murs en briques rouges. Ce climat est pesant. Je contemple la rue comme si je ne l’ai jamais vu. J’observe si attentivement qu’il me semble que le tronc d’arbre en face de toi a un cœur qui bat, j’ai l’œil rivé sur lui, et j’aperçois le boum-boum sous l’écorce ou c’est mon propre cœur.
Puis, mon regard glisse ailleurs. Le trottoir, je me concentre sur lui, j’approche le visage, je plaque la joue contre la vitre, un écureuil sort de nulle part. Allez petit, entre chez toi vite, il y’a une cruelle dangereuse microscopique créature dans l’air. Il frotte ses oreilles, me tourne le dos… sa queue flotte un moment, puis hop sur la branche. Je le suis ah quel vertige cette liberté. Je reporte mon regard sur le ciel, il est encore clair, parsemé de quelques ombres. L’écureuil revient, me fixe en mâchouillant quelque chose. C’est la seule animation dans la rue. Je l’ai déjà vu cet écureuil tout noir avec une queue mouchetée, il vient souvent sur mon balcon. Nous l’avions baptisé avec ma fille Wilson. Je tapote sur la vitre, hé, Wilson. Hé petit, il s’immobilise, dresse sa tête. Tu sais quoi, lui dis-je. Si on s’en sort tous, et on va s’en sortir, ce n’est pas cette affreuse et laide chose qui va l’emporter, je te promets un bol plein d’appétissantes noisettes.
Nassira BelloulaChronique du confinement