Le 16 octobre 2019
Extrait de l’ouvrage collectif intitulé « Argentine, la révolution des filles » paru en 2019 aux Editions des Femmes – Antoinette Fouque, préfacé par Asia Argento.
Par Alicia Dujovne Ortiz
« Comparable aux luttes pour l’avortement des années 1970 et pour la parité, dans les années 1990, le mouvement de protestation féminine récent déclenché par l’affaire Weinstein » fait partie des moments d’Histoire, où se condensent les colères, où naissent les révoltes. Cet ouvrage pluridisciplinaire précise les enjeux des débats et des mobilisations, et les met en perspective au regard des réflexions récentes sur les violences de genre, le consentement, l’émancipation des femmes, et l’égalité des sexes« .
Elle a couru, oui, en rentrant de l’école, la petite fille que j’ai été dans les années 1940 et 1950, à Buenos Aires, se pliant à l’injonction du titre de ce livre, sans l’avoir bien sûr deviné mais mue par la nécessité d’échapper à ces hommes qui, soir après soir, la poursuivaient dans la rue obscure. C’était une course folle : cent mètres à parcourir avant d’arriver à la maison, cent ans avant de réussir à introduire la clé dans la serrure, de refermer la porte vitrée donnant sur le couloir et de voir se dessiner derrière la vitre le rire triomphant de l’exhibitionniste avec son morceau violacé à la main, bien en vue. Et lorsque ledit morceau lui était dévoilé à bord d’un autobus, c’était encore la petite fille qui devait descendre en courant, les joues en feu et sans broncher, car malheur à celle qui oserait élever la voix sachant que l’agresseur prononcerait alors la phrase sacro-sainte, approuvée par l’ensemble des passagers : « C’est elle qui m’a cherché ».