Le 15 octobre 2021
A l’occasion de la manifestation « Les Voix d’Orléans – Carte blanche au Parlement des écrivaines francophones » qui s’est déroulée à Orléans du 07 au 09 octobre 2021, un texte écrit Fawzia Zouari :
L’Appel d’Orléans
Aux militantes, résistantes, actrices et acteurs de la société civile investis dans le combat féministe, nous voulons joindre notre voix pour dénoncer les aberrations qui durent :
- Comment se fait-il qu’une planète qui compte pour moitié des femmes, continue à être dominée, commandée, gérée par une majorité d’hommes ?
- Comment expliquer la présence minime des femmes dans les postes de décision et les organismes officiels?Ou dans des institutions internationales censées parler de paix et de tolérance et oubliant que ces deux valeurs sont d’essence féminine ?
- Peut-on admettre que certains régimes politiques continuent à se définir comme des « démocraties », là où les femmes sont ostracisées, discriminées, parfois violées dans l’impunité totale ?
- Peut-on parler de « Printemps révolutionnaires » à propos de révoltes qui échouent à établir une réelle émancipation des femmes quand elles n’aspirent pas ou n’appellent pas à leur asservissement.
- Peut-on continuer à mesurer le progrès des sociétés à l’aune de leurs performances économiques, technologiques, ou leur PIB, là ou aucun progrès ne devrait mériter ce nom, s’il n’inclut pas un PLR, – oui, inventons les mots et les initiales qui vont avec ! – : un Produit de Liberté réelle pour les femmes ?
- Peut-on, tout simplement, adhérer à une formation politique ou une quelconque idéologie, sans s’interroger sur son positionnement sur la question féminine et peut-on définir le « progrès » autrement qu’un projet de société égalitaire et digne pour les femmes ?
- Peut-on, pour revenir à l’actualité et donner un exemple concret, tendre la main au pouvoir des Talibans, sans tremper dans un crime, s’allier à la barbarie, la dictature et le féminicide sous toutes ses formes ?
Bref : Comment espérer une sortie des maux et des crises, en continuant à nier la présence et l’apport des femmes ? Toutes ces séquences que nous traversons aujourd’hui, assaillis que nous sommes par la peur, le Covid, la perte des repères, les fractures sociales, les désastres humanitaires, les drames de l’immigration, la congrégation des mémoires douloureuses, les colères de notre planète, l’hostilité d’un environnement abîmé et détruit par nos caprices et nos abus, prouvent que nous avons tout à perdre si l’on ne comprend pas, une fois pour toutes, que la libération des femmes représente une solution aux épreuves de notre époque.
Alors, il faut savoir dire NON. NON aux sempiternels « principes de réalité » et aux « intérêts particuliers ». NON à une prédominance masculine qui continue à tout percevoir et résoudre selon ses normes et en fonction de ses privilèges. NON aux dictatures qui prolifèrent au prix de l’exclusion et du silence forcé des femmes. NON aux obédiences religieuses qui assoient leur pouvoir sur leur soumission.
Nous, écrivaines francophones, appelons les États, les institutions, la société civile à travailler pour un monde qui se conjugue aussi au féminin, de la grammaire aux postes de pourvoir, de l’action sociale à l’œuvre d’imagination, de la pensée à la performance manuelle.
Nous revendiquons dans le sillage des femmes du Nord et du Sud « une planète 50/50 » et des « Générations Égalité ». Un changement des logiciels de sociétés rétives à l’émancipation féminine. Avec une action réelle sur les mentalités au moyen de l’éducation et des politiques d’incitation. Et un renforcement de la laïcité, seul rempart contre les dérives religieuses et sectaires.
Nous n’aurons pas honte de désigner du doigt certaines sociétés qui, sous couvert de « spécificité culturelle », visent à garder le même système de domination sur les femmes. Ni ne renoncerons à affirmer que seules les valeurs universelles doivent nous guider. Encore moins d’interpeller certaines de nos sœurs qui se fourvoient en ralliant des courants machistes, confondant leur intérêt avec celui de leurs oppresseurs, devenant les relais d’idéologies qui se fondent sur l’idée de leur infériorité.
Enfin, nous oserons défendre la cause des écrivaines également. Tant le fait d’écrire pour une femme, expose dans de nombreux pays, à être deux fois censurées, opprimées, persécutées. Le simple fait de dire « je », de s’écarter de la norme du groupe, du clan, de la tribu est vu ou jugé comme un scandale. Sans compter cette constante dans bien des pays, où l’on continue à percevoir les autrices comme des auteurs de seconde catégorie, aliénant leur œuvre à des circuits conçus et définis par des cercles masculins régnant en maîtres sur le secteur. Et que dire de celles qu’on jette en prison pour avoir exprimé leur opinion politique, à l’instar de l’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh, la romancière turque Asli Erdogan ou la militante féministe saoudienne Loujain al-Hathloul, que le Parlement a soutenues publiquement. De même que nos membres se sont levées comme un seul…une seule femme… pour condamner le sort fait aux Afghanes par un pouvoir masculin qui s’enorgueillit de sa course à contre-sens de l’Histoire.
Les écrivaines qui constituent notre Parlement viennent des quatre coins du monde. Elles sont de plusieurs origines, cultures, religions et couleurs de peau. Et c’est une force que cette diversité. Une force qui nous permet de transcender les frontières et de parler au noms d’autres femmes. Si l’écriture est un métier solitaire, nos luttes et nos intérêts sont, et seront communs. Si l’écriture devait servir à quelque chose, elle servirait à instaurer le procès des repressions contre les femmes. Dès lors, il ne sera plus question de solitude, puisque nous serons au coeur d’une lutte commune, à travers ce beau projet porteur de la promesse de l’Humain qu’est la littérature.
Notre désir : Écrire la liberté, l’égalité, les fraternités, les sororités, les solidarités ; terrasser les lieux communs, fraterniser avec nos frères de plumes et de cœur, allumer l’incendie de tous les doutes, éteindre les haines mortifères, sanctifier l’amour, notre encre étant faite de larmes, de rires, de sang et d’audace ! Et quand ces écrivaines lancent l’Appel d’une ville qui s’appelle Orléans, cela ne peut qu’avoir un surplus de sens. Quand elles interpellent le monde à partir de la cité de Jeanne d’Arc, elles sonnent de nouveau l’heure de la résistance et du courage. Avec ce luxe de le faire dans une langue, le français, qui véhicule des valeurs de liberté et d’égalité, auxquelles elles ajouteront la féminité, bien sûr.
Cet Appel n’est pas le premier ni le dernier du genre. Il ne servira pas de document politique en matière d’égalité. Mais il marquera l’agenda du ralliement des écrivaines à la cause de leurs sœurs de sexe, avec le concours d’une ville témoin de l’Histoire et au passé ô combien féminin ! Il marquera la date d’un enrôlement inédit et public des écrivaines sur le front de l’émancipation qu’elles déclineront en fiction, en poésie, en essai, en culture d’une façon générale. De sorte que la cause féminine devienne aussi la cause de la littérature. Nos mots, nos livres, nos chants en seront emprunts. Sur les couvertures de nos ouvrages, vous lirez, en sous-titre invisible, « Pour les femmes ». Et à l’intérieur des pages, la feuille de route d’un programme qui résonne du même cri : vigilance ! Un cri qui dit : Nous veillons. Nous ne laisserons pas nos sœurs dans tous les pays du monde se faire étouffer, écraser, assassiner, sans reprendre leur étendard. Nous parlerons pour elles chaque fois qu’il le faudra ; Nous saurons faire entendre la rumeur secrète de leurs chagrins et leurs cris étouffés dans un silence opaque et souvent complice ; et nous nous porterons au secours de celles qui ont osé braver les interdits et pris la parole au risque de châtiments impitoyables.
Alors, ne tournez pas la tête, nous sommes là. Fortes de ces rendez-vous avec l’intelligence, la pensée et l’écriture , dans cette ville d’Orléans qui, aujourd’hui, se fait notre Voix. De son épicentre, nous dessinons de nouvelles cartes. Celles qu’il faut pour rejoindre les horizons où il devient possible de dire au monde tout ce que nous, les femmes, avons ont à lui donner. Faisons en sorte que demain nous appartienne. Au moins pour moitié.
Texte écrit et lu par Fawzia Zouari
Orléans, Samedi 09 octobre 2021